Alfred Mercier, Adrien Rouquette, Placide Canonge: Le Médecin, le Prêtre et le Dandy.

Alfred Mercier, Adrien Rouquette et Placide Canonge se sont côtoyés sur la scène culturelle de la Nouvelle-Orléans, où ils ont chacun joué une rôle primordial dans les lettres et la musique créoles. La multiplicité de leurs intérêts et de leurs occupations illustre l'effervescence de la vie culturelle de la Nouvelle-Orléans au XIXème siècle, où les individus, loin de se spécialiser dans une discipline particulière, n'hésitaient pas à privilégier une extrême diversité dans les arts qu'ils appréciaient et pratiquaient. Ainsi Mercier, médecin érudit au grand cœur, manie le verbe avec autant d'aisance dans ses fictions que dans ses ordonnances. Il est entouré d'un groupe de médecins créoles, dont font partie Charles Deléry et Charles Testut, qui partagent son goût pour les lettres francophones. Adrien Rouquette finit par dévouer sa verve et ses talents d'orateur à l'Église, continuant néanmoins à se consacrer à la poésie et à la musique avec assiduité. Louis Placide Canonge est quant à lui une espèce rare d'homme à tout faire, un travailleur acharné omniprésent dans le domaine de la presse, où ses contributions sont innombrables, mais aussi dans les milieux du théâtre et de l'opéra. Tous trois multiplient les allers-retours entre la France et la Louisiane, principalement pour mener à bout des projets de composition. Tous trois se connaissent et se reconnaissent des talents singuliers.
 

Case 9
Alfred Mercier, (1816-1894)

Alfred Mercier est né en Louisiane en 1816. Sa famille, originaire de Gironde, l'envoie à Paris dès ses 14 ans pour qu’il y reçoive la meilleure éducation: il est d'abord instruit au Collège Louis le Grand, puis à la Faculté de droit, mais manifeste très tôt son goût pour les lettres. Son retour à la Nouvelle-Orléans en 1838 est aussitôt suivi d'un séjour à Boston, où Mercier se rend dans le but d'apprendre l'anglais. Après quelques années passées entre la Louisiane et Boston, il repart en 1842 à la découverte de l'Europe. Son séjour de cinq mois en Italie et plus particulièrement en Sicile lui inspire un roman publié en 1873: Le Fou de Palerme. Pendant la Révolution de 1848, il contribue au journalisme louisianais en envoyant à la Nouvelle-Orléans des articles sur les événements qui aboutissent au couronnement de Napoléon III. Il épouse la fille du propriétaire de la pension où il séjourne, à la suite d'une grave maladie au cours de laquelle cette dernière le soigne avec attention. Il commence ses études de médecine à Paris à l'âge de 33 ans et, ayant obtenu son diplôme, il emmène les siens à la Nouvelle-Orléans, où il commence à exercer la profession de médecin. Pendant la Guerre Civile il retourne à Paris et multiplie les efforts pour convaincre la France de se rallier à la Confédération. De retour à la Nouvelle-Orléans après la guerre il rédige pour le Picayune des articles critiques portant sur les représentations données à l'Opéra français. Grand amoureux des lettres, il parle couramment plusieurs langues et porte un très grand intérêt à la préservation de la langue française en Louisiane. Aussi fait-il partie des initiateurs de L'Athénée louisianais, dont il est le secrétaire-trésorier jusqu'à sa mort. Dans un article intitulé "Progrès de la langue française", publié par Les Comptes-Rendus de l'Athénée louisianais en septembre 1883, Mercier tient ces propos, à la fois nostalgiques et visionnaires:

Le jour où l'on cessera de parler le français en Louisiane, si jamais ce jour doit arriver – ce que nous ne croyons nullement – il n'y aura plus de Créoles; le groupe original et puissant qu'ils formaient dans la grande famille nationale des Etats-Unis, aura disparu, comme disparaît, avec son goût et sa couleur, le vin que l'on noie dans le fleuve qui passe.

À la suite de la publication de La fille du prêtre en 1877, où il s'attaque au célibat ecclésiastique, on l'accuse d'être un libre-penseur et c'est de justesse qu'il évite un complet ostracisme de la communauté littéraire francophone de la Nouvelle-Orléans. Il publie L'Habitation Saint-Ybars en 1881: les critiques saluent l’ouverture d’esprit et l'audace qui ont incité Mercier à rédiger de nombreuses pages de son “récit social” en creole noir. Reconnaissant des services qu'il a rendus à la cause française, le gouvernement français le nomme officier de la Légion d'Honneur en 1885. Mercier meurt en 1894 à l'âge de soixante-dix-huit ans.
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Case 10
Adrien Rouquette, (1813-1887)

Adrien Rouquette est né à la Nouvelle-Orléans en 1813. Son père, un Français d'origine bordelaise, s'est établi à la Nouvelle-Orléans tout au début du siècle pour s'y faire marchand de vins. Il ne tarde pas à épouser une jeune femme créole qui lui donne cinq enfants; deux d'entre eux seront des poètes louisianais de renom. Peu après la naissance d'Adrien, la famille s'installe dans l'un des faubourgs de la Nouvelle-Orléans, le Bayou Saint-Jean, à proximité duquel vivaient des tribus indiennes, dont Adrien apprend bientôt la langue. Cet environnement constituera pour lui une inépuisable source d'inspiration poétique. Dès l'âge de huit ans, Adrien Rouquette reçoit d'abord son éducation du Collège d'Orléans, puis dans le Kentucky et le New Jersey. Ayant oublié tout son français en quelques années, il entreprend de poursuivre ses études au Collège Royal de Paris, mais ses projets sont contrariés par la révolution; il s'installe donc dans l'ouest de la France, à Nantes puis à Rennes. Après avoir fait un petit tour d'Europe, il rentre en Louisiane en 1833. Il élit domicile dans le Bayou Lacombe, où il reprend les vagabondages de son enfance en compagnie des Indiens des environs. Les années qui suivent sont ponctuées par des allers-retours fréquents entre France et la Louisiane que la légende attribue en partie à des amours malheureuses. Nombre de ses poèmes portent la marque de ses séjours à Paris. Lors d'un de ces voyages, il publie en 1841 l'une de ses meilleures œuvres poétiques, Les Savanes. Le célèbre critique français Sainte-Beuve salue cette première œuvre dans les termes suivants:

J'ai pris plaisir à respirer dans vos Savanes toutes sortes de parfums pleins de jeunesse et de franchise. Il me semblait y être en pays ami, avec pourtant le charme de l'imprévu. C'est beaucoup pour vous, Monsieur, d'avoir senti cette grande nature et de l'emporter dans votre cœur.

L'admiration d'Adrien Rouquette pour la poésie française contemporaine, et notamment pour Chateaubriand se lit dans ses nombreuses dédicaces à ce dernier. Sous son pseudonyme indien, Chahta-Ima, qui signifie en choctaw "l'un de nous", il publiera en 1879 un court roman intitulé La nouvelle Atala ou fille de l'esprit, exposé préalablement, en référence directe à l'œuvre de Chateaubriand. De retour en Louisiane, il décide de consacrer le restant de sa vie à la religion et entre en 1841 au séminaire de Plattenville dans la paroisse de l'Assomption. Il est nommé sous-diacre au Couvent des Ursulines en 1844, puis ordonné prêtre en 1845. Il commence alors son service à la cathédrale Saint-Louis à la Nouvelle-Orléans, où il est finalement nommé vicaire-général. Ses quatorze années de service sont marquées par son discours du 8 janvier 1846, en commémoration de la bataille de la Nouvelle-Orléans; ses talents d'orateur ameutent les foules. Il est également célèbre pour ses discours sur l'esclavage aux lendemains de la Guerre Civile. Il publie en 1860 Les Préludes de l'Antoniade, où se manifeste son attachement immense pour la Louisiane, notamment à travers "La Louisiane et la Nouvelle-Orléans", dont nous disposons de deux versions, l'une manuscrite, l'autre publiée. Il décide enfin de finir ses jours auprès des Choctaws, où il continue à exercer son ministère, notamment dans sa chapelle à Lacombe. Au cours de ses dernières années, il se lie d'amitié avec l'écrivain Lafcadio Hearn, provisoirement de retour en Louisiane. Mais il sombre dans la folie dès 1887 et meurt dix ans plus tard, à l'âge de soixante-quatorze ans, alors qu'il travaille à l'élaboration d'un dictionnaire de la langue choctaw.
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Case 11
Louis Placide Canonge (1822-1893)


Louis Placide Canonge est né en 1822. Son père, originaire de Marseille, réside quelques temps à Saint-Domingue avant de devenir un juriste distingué de la Nouvelle-Orléans. Afin de recevoir la meilleure éducation, Louis Placide Canonge est envoyé à Paris, où il suit les cours du Lycée Louis le Grand. Paris aiguise son goût pour les arts et les lettres et modèle son profil de dandy, homme élégant et plein d'esprit toujours à l'affût des nouveautés culturelles. À son retour à la Nouvelle-Orléans, il est perçu par son entourage comme le prototype du Français en raison de ses intérêts, opinions et préjugés. Il participe activement à un nombre incalculable de publications en langue française qui auront pour la plupart une durée de vie éphémère. En véritable gentilhomme, il s'illustre dans plusieurs duels restés célèbres dans l'histoire de la Nouvelle-Orléans au cours desquels il risque sa vie pour défendre son honneur ou l'honneur de l'un de ses pairs. Directeur du Courrier louisianais pendant la Guerre Civile, il se voit obligé de s'exiler pour un temps après avoir très clairement manifesté son antipathie pour les Yankees. Il crée son propre journal, L'Époque et entre à L'Abeille de la Nouvelle-Orléans en 1882, où il participe à la critique artistique et musicale jusqu'à sa mort. Il signe souvent ses contributions par son nom de plume, René. Il enseigne également le français. Mais sa véritable passion demeure le théâtre; il a plusieurs pièces à son actif: Le comte de Carmagnola est représenté pour la première fois à la Nouvelle-Orléans en 1852 et tient l'affiche cent soirées à Paris. Encourageant le petit théâtre, il crée deux sociétés de théâtre amateur; il dirige le Théâtre d'Orléans en 1860 et administre l'Opéra français pendant deux saisons consécutives de 1873 à 1875. Léona Queyrouze, avec qui Placide Canonge entretient une correspondance régulière, lui dédie un poème intitulé "À l'Opéra" . Sa correspondance avec Henri Vignaud, un ami de longue date résidant à Paris, révèle la fragilité et l'insécurité cachées derrière sa façade d'homme d'influence et de décisions . Il meurt en 1893, à l'âge de soixante et onze ans. début
Armand Lanusse et Les Cenelles: Premier recueil de poèmes composés et publiés par des Afro-Américains aux États-Unis.

Entre Blancs et Noirs, francophones par leur culture et leur éducation tout en étant citoyens américains, bénéficiant d'une aisance financière mais privés des droits élémentaires, en définitive libres mais seulement de manière circonscrite, les gens de couleur libres occupent une place très particulière dans la société créole de la Nouvelle-Orléans, où ils suscitent simultanément jalousie et suspicion. Défiant les interdits qui pèsent sur la publication d'écrits signés par des gens de couleur, Armand Lanusse réunit en 1845 quatre-vingt-cinq poèmes composés par dix-sept poètes louisianais de couleur et les publie sous le titre Les Cenelles. Son activisme dans la défense de la cause des gens de couleur en Louisiane le lie à la ville de sa naissance d'un lien indéfectible, mais contrairement à lui, plusieurs contributeurs des Cenelles, tels Pierre Delcour, Camille Thierry et Victor Séjour, préféreront la France à la Louisiane et iront y poursuivre des carrières florissantes qui, loin des restrictions dont ils sont immanquablement victimes dans l'état de leur naissance, les amèneront parfois à côtoyer la fine fleur des lettres françaises. début
 

Case 12
Armand Lanusse (1812-1867) et les poètes des Cenelles

Armand Lanusse est né à la Nouvelle-Orléans en 1812. Les historiens ne s'accordent pas sur la question des conditions de son éducation: a-t-il, comme de nombreux jeunes gens de couleur libres de sa génération, été envoyé à Paris par un père attentionné pour y mener des études brillantes ou est-il resté à la Nouvelle-Orléans? Quoi qu'il en soit, dès son plus jeune âge, il se démarque de ses semblables par son intense dévouement à la cause de la libération de ceux qu'il perçoit sans conteste comme son peuple, sans souci de démarcation, à savoir les gens de couleur. La poésie de Lanusse se caractérise, comme celle des autres poètes des Cenelles, par son admiration pour le romantisme français et pour les Méditations Poétiques d'Alphonse de Lamartine en tête de liste. Mais contrairement à ses pairs, Lanusse ne passe pas sous silence les conditions dans lesquelles vivent les gens de couleur en Louisiane. Les autres poètes des Cenelles tendent, en effet, à déployer les thèmes de la mélancolie et de la fantaisie, de l'individualisme et du mal du siècle de telle manière que sous l'effusion des sentiments, la question de l'appartenance à un sang mêlé se trouve complètement effacée. Lanusse quant à lui, n'hésite pas à faire allusion dans sa poésie (voir notamment Épigramme ) à des questions aussi polémiques que le plaçage, c'est-à-dire l'arrangement de liaisons entre des jeunes femmes de couleur et des hommes blancs aisés, pratique communément acceptée dans la bonne société créole. Convaincu, comme il l'écrit dans son Introduction aux Cenelles, que c'est essentiellement à travers l'éducation que le sort des gens de couleur est susceptible de s'améliorer:

On commence à comprendre que, dans quelque position que le sort nous ait placés, une bonne éducation est une égide contre laquelle viennent s'émousser les traits lancés contre nous par le dédain ou par la calomnie,

Lanusse participe activement à la construction d'une école catholique pour les orphelins indigents de couleur, l’institution Bernard Couvent. Achevée en 1848, Lanusse en devient le directeur en 1852 et gardera ce poste jusqu'à sa mort. Pendant la Guerre Civile, il sert dans l'armée confédérée et son dégoût face au traitement infligé aux Noirs le pousse à exhorter nombre d'entre eux à abandonner la Louisiane pour des terres plus accueillantes. Son dévouement à la cause des Noirs se manifeste en 1843 par la création, en collaboration avec plusieurs des futurs poètes des Cenelles, d'un nouveau journal intitulé L'Album Littéraire, Journal des Jeunes Gens, Amateurs de la Littérature, afin de remédier à l'interdit qui pèse alors en Louisiane sur la publication d'œuvres composées par des gens de couleur. Malgré sa durée de vie limitée, c'est cette petite revue qui est à l'origine du projet et de la publication des Cenelles en 1845, dont Lanusse est pour sa part le contributeur le plus important. Le titre de ce recueil, Les Cenelles, choix de poésies indigène, fait allusion à la coutûme locale qui consiste à ramasser minutieusement des aubépines (cenelles) dans les marécages de Louisiane . Parmi les autres gens de couleur qui participèrent aux Cenelles, Pierre Dalcour, Victor Séjour et Camille Thierry, tous trois issus de familles prospères de la Nouvelle-Orléans, choisissent de poursuivre leur carrière artistique en France où, fidèlement aux attentes exprimées dans leurs poèmes, ils trouvent une liberté relativement vierge de préjugés. Dalcour est notamment connu pour son amitié avec Victor Hugo, Séjour devient pour un temps le secrétaire personnel de Louis-Napoléon III et Thierry part s'installer et publier ses œuvres à Bordeaux. Tous trois sont morts en France. Quant à Lanusse, il s'éteint à la Nouvelle-Orléans en 1867, à l'âge de 55 ans.
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Sidonie de la Houssaye et Léona Queyrouze: Renversement du mythe de “la belle Créole.”

Sidonie de la Houssaye et Léona Queyrouze ont chacune un parcours personnel qui se situe aux antipodes du mythe de la Belle Créole. Loin d'être deux jolies femmes aux préoccupations oisives et ingénues, dépendantes de leurs époux à tous égards et fidèles à l'ordre établi, elles ont toutes deux évolué dans un monde masculin où elles furent traitées sans ménagements et parvinrent néanmoins à faire entendre leur voix. À la mort de son époux, Sidonie de la Houssaye devient le seul soutien financier de sa famille nombreuse; l'enseignement, mais surtout l'écriture lui permettent d'assurer la subsistance des siens malgré la difficulté des circonstances. Léona Queyrouze, élevée dans l'aisance et au cœur de l'ébullition culturelle de la Nouvelle-Orléans, multiplie les conquêtes parmi les hommes de lettres et fait preuve d'une ambition et d'une audace peu coutumières dans le but d'étendre sa renommée jusqu'à Paris. Toutes deux peuvent être considérées comme des modèles d'émancipation précoce, relevant le défi d'être deux femmes de lettres dans un monde d'hommes. début
 

Case 13
Léona Queyrouze, (1861-1938)

Léona Queyrouze originaire d'une famille créole aisée, est née à la Nouvelle-Orléans en 1861. Son père, fils d'un vétéran de Napoléon, s'y est installé pour y faire le commerce de vins et d'épicerie fine importés de France. Sa mère est une créole native de Saint-Martinville. Les souvenirs d'enfance de Léona Queyrouze sont marqués par les salons que ses parents ont l'habitude de tenir dans leur domicile familial, où ils accueillent la fleur intellectuelle créole de la Nouvelle-Orléans. Très attentive aux discussions qui animent ces réunions dès son plus jeune âge, Léona est bientôt surnommée "la petite Mme de Staël", en référence à son aînée, écrivain qui fait beaucoup parler d'elle en France et dans toute l'Europe. À l'âge de quinze ans, ses parents l'envoient seule passer un an en France afin qu'elle perfectionne sa maîtrise de la langue française.
De retour en Louisiane, elle fait une rencontre décisive pour son avenir de femme de lettres: elle se lie d'amitié à l'écrivain Lafcadio Hearn, alors célèbre sur la scène culturelle de la Nouvelle-Orléans; leur relation ne tarde pas à défrayer la chronique. Hearn l'encourage dans son talent et lit ses premiers poèmes, qu'elle ne tarde pas à publier notamment dans L'Abeille. Elle a alors recours à son pseudonyme masculin, Constant Beauvais, du nom de son grand-père, ancien gouverneur de la Louisiane. "Vision", disponible à la fois en version manuscrite et en version publiée, demeure l'un de ses poèmes les plus connus. Dès sa plus tendre enfance, Léona Queyrouze évolue dans un milieu essentiellement constitué d'hommes plus âgés qu'elle, qui joueront tour à tour dans sa vie les rôles de mentors, de confidents et de courtisans. Sa relation et sa correspondance avec Victor Cousin, de quarante ans son aîné, est à ce titre exemplaire : lors de leur première rencontre en 1881, Cousin offre à Léona les vers suivants:

J'aurais voulu garder pour votre doux visage/ Tous les baisers d'un autre temps;/ Ils ne sont désormais qu'une injure à votre âge / Et ne font plus qu'outrager le printemps.

Par l'intermédiaire de L'Abeille qui publie le poème "Le désir" dans ses colonnes, c'est en ces termes que Léona répond à son vieux courtisan:

Sous ton beau front blanchi, l'éternelle jeunesse/ Palpite, et le printemps et toute sa tendresse/ Et l'art te garde encore ses plus chaudes lueurs.

Ce flirt littéraire se poursuit assidûment pendant plusieurs années: les lettres de Cousin à Queyrouze commencent toutes par "Ma lionne", et dans une de ses dernières lettres en 1888, Cousin regrette le détachement évident de sa jeune muse; en philosophe, il semble se résigner à l'inconstance de la gent féminine:

Sera-ce bien à vous, ma lionne qu'on pourra attribuer ces paroles écrites par François I sur une des vitres à Chambord : Souvent femme varie:/ Bien fol est qui s'y fie!

En 1880, Léona Queyrouze publie dans Les Comptes-Rendus de l'Athénée Louisianais une "Étude sur Racine". À vingt-trois ans, elle donne une conférence à L'Athénée Louisianais sur le thème “De l'indulgence”: c'est la première fois qu'une jeune femme créole fait une allocution publique en Louisiane; cette initiative est alors jugée de mauvais goût. La renommée et l'audace de Léona Queyrouze atteignent bientôt la France; M. Combes, président de l'Académie des Sciences et des Lettres de Bordeaux écrit une lettre où il fait l'éloge de son talent; ses mots sont publiés par L'Abeille le 1er mars 1885 . Grande admiratrice du célèbre écrivain français Émile Zola, Léona Queyrouze lui écrit pour lui faire part de son sentiment et n'hésite pas à lui envoyer un de ses poèmes. Zola prendra le temps de lui répondre. En 1886, Léona Queyrouze passe près d'un an à New York, où elle se consacre à la traduction et à l'adaptation de pièces de théâtre françaises pour la scène américaine. De retour à la Nouvelle-Orléans, elle donne une conférence intitulée "Le patriotisme et Wagner", qui illustre la pluralité de ses intérêts, en présence du Général Beauregard, de Louis Placide Canonge, d'Alfred Mercier et de Charles Gayarré, les patriarches du maintien et de la défense de la langue française en Louisiane. À l'âge de quarante et un ans, Léona Queyrouze abandonne les lettres pour se consacrer à son mariage qui, extrêmement tardif, défie un fois encore toutes les règles de la bonne société créole. Elle retournera à ses premières amours en publiant en 1933 un essai en anglais sur Lafcadio Hearn intitulé, The Idyll: my Personal Reminiscences of Lafcadio Hearn (L'idylle: mes réminiscences personnelles de Lafcadio Hearn). Elle meurt en 1938, à soixante-dix-sept ans.
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Case 14
Sidonie de la Houssaye (1820-1894)

Née en 1820, Sidonie de la Houssaye est issue d'une riche famille créole, mêlant origines françaises et allemandes, qui prend part aux premiers jours de la colonisation de la Louisiane. Son éducation lui est donnée par une gouvernante française qui lui inculque le goût de la langue et des lettres françaises. À l'âge de quatorze ans, elle épouse M. Pelletier de la Houssaye et s'installe avec lui dans la commune de Saint-Martinville, alors surnommée "le petit Paris de la Louisiane.”
La ville était en effet depuis la fin du XVIIIème siècle le refuge de nombreux nobles français cherchant à échapper à la guillotine. Elle donne naissance à quatorze enfants dont trois seulement survivront. Son déménagement à Franklin avec sa famille en 1841 marque le début des difficultés financières. À la mort de Raymond Pelletier de la Houssaye en 1863 dans d'étranges circonstances, Sidonie de la Houssaye assure seule la prise en charge et l'instruction de sa famille.
Elle fait également profiter ses talents de pédagogue aux enfants des autres, à commencer par ceux de ses voisins. Après avoir ouvert une première école pour jeunes filles en 1849, réouverte pendant la Reconstruction en 1867, elle crée une autre école en 1882, en coopération avec une certaine Miss Wallis, comme en témoigne le faire-part exposé. Sa fille, Lilia, décédée en 1875, laisse huit enfants en bas âge à la charge de leur grand-mère. Soucieuse de subvenir aux besoins de sa famille nombreuse, Sidonie de la Houssaye entreprend alors de publier divers feuilletons et écrits littéraires, notamment dans L'Abeille. Ses écrits en français sont ultérieurement traduits en anglais par ses propres petits-enfants, pour lesquels elle écrit également de nombreuses histoires, dont la plupart n'ont jamais été publiées. Mme de la Houssaye trouve sa principale source d'inspiration dans un journal de voyages de sa grand-mère, retrouvé dans son grenier. L'écrivain George Washington Cable ne tarde pas à en racheter les droits; ainsi s'inspire-t-il de l'héritage de Mme de la Houssaye pour la rédaction de Strange True Strories of Louisiana (1889) , mais peut-être aussi pour la composition de Old Creole Days (1879) et de The Grandissimes, A Story of Creole Life (1880). Dans "How I got them,” qui introduit Strange True Stories of Louisiana, Cable fait brièvement allusion à Mme de la Houssaye. Les manuscrits empruntés ou achetés par Cable à Sidonie de la Houssaye sont photographiés en regard du texte de Cable . En 1878, Mme de la Houssaye commence la rédaction de ses Quarteronnes de la Nouvelle-Orléans, disponibles en deux versions, l'une manuscrite et l'autre publiée. Ces textes paraissent en feuilletons dans Le Méschacébé, mais leur contenu est si sulfureux que Mme de la Houssaye les signe de son pseudonyme, Louise Raymond. Ces récits ont chacun pour titre le nom d'une de ces femmes au sang mêlé et à la beauté légendaire, connues pour déchaîner des passions coupables chez les hommes jeunes et moins jeunes de la bonne société de la Nouvelle-Orléans. En 1890 l'Athénée louisianais décerne une médaille d'or à Mme de la Houssaye pour sa contribution active à la promulgation de la langue française en Louisiane. Elle meurt en 1894, à l'âge de soixante quatorze ans. Au rythme de la société louisianaise, ponctuée par les bouleversements et les troubles de son histoire, le destin de Sidonie de la Houssaye représente un témoin privilégié de son siècle: il prend forme dans la vie des plantations et la société esclavagiste, traverse la Guerre Civile et la Reconstruction et cristallise la ténacité des Créoles à faire vivre leur culture propre.
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Louis Moreau Gottschalk et Basile Barès:
Itinéraires de la musique créole.

Louis Moreau Gottschalk apparaît comme la figure prédominante de la musique créole. Son contemporain, Basile Barès est peut-être le premier homme de couleur qui fit publier sa musique avant d'être affranchi. Leurs compositions présentent deux modèles différents de créolisation de la musique : en effet, tandis que dans ses premières œuvres, Gottschalk épuise les clichés de la musique créole noire, intitulant ses compositions "Bamboula, danse des nègres", Barès s'inspire lui aussi de la culture créole, notamment à travers la thématique de "La Belle Créole". Toutefois, contrairement à Gottschalk, il ne fait pas de référence explicite aux influences africaines de la Nouvelle-Orléans créoles. Il est singulier d'observer comment l'un utilise systématiquement le stéréotype de l'autre et à quel point la musique de la Nouvelle-Orléans au XIXème est colorée par cette revendication d'appartenance à une culture créole à visages multiples. début

 

Case 15
Louis Moreau Gottschalk (1829-1869)

Louis Moreau Gottschalk est né à la Nouvelle-Orléans en 1829 : il fut le premier compositeur et pianiste de nationalité américaine à jouir d'une renommée internationale. Sa mère créole et son père anglais lui assurent un environnement culturel contrasté. Dans les premières années de son apprentissage de la musique à la Nouvelle-Orléans, il est très tôt sensible à la complexité des influences qui façonnent la culture locale comme "Le bananier" et "Bamboula" ne tardent pas à le prouver. En 1842, à l'âge de treize ans, Gottschalk se rend à Paris pour y poursuivre sa formation. Très vite, il pénètre les cercles de l'élite culturelle française, où il rencontre non seulement Victor Hugo et Alphonse de Lamartine, mais surtout Frédéric Chopin, Jacques Offenbach et Hector Berlioz. À l'occasion de récitals publics donnés par Gottschalk dès ses premières années à Paris, Berlioz ne tarit pas d'éloges à son égard et salue la nouveauté des œuvres du jeune compositeur, qui puisent leur inspiration dans les cultures créoles et noires. En 1846-1847 les deux musiciens donnent ensemble une série de concerts au Théâtre des Italiens. Avant son retour en Amérique en 1853, Gottschalk se produit dans toute l'Europe: il aurait donné entre deux et trois cents concerts. Célébré à Paris comme "le pianiste compositeur louisianais", Gottschalk se rend compte à son arrivée à New York, à l'âge de vingt-trois ans, que sa renommée européenne l'a devancé. New York lui offre à son tour gloire et succès, mais pressé par ses responsabilités financières à la mort de son père, qui fait de lui le soutien matériel de sa famille nombreuse, il entreprend en 1854 un premier voyage à Cuba pour y donner une série de concerts. De retour à New York, il se singularise par ses leçons particulières onéreuses et ses amours ravageuses. En 1857 Gottschalk part à nouveau pour les Antilles, en tournée avec la chanteuse Adelina Patti, qui connaîtra ses heures de gloire dans les théâtres de la Nouvelle-Orléans. Dans toute l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud, le duo est accueilli par une foule en liesse. Gottschalk élit domicile dans les Antilles pendant cinq ans et commence à rédiger en français son journal, ultérieurement traduit et publié par sa sœur Clara sous le titre Notes of a Pianist. Il se produit à Cuba dans des festivals et concerts gigantesques, où il joue sa “Fête champêtre cubaine,” “La nuit des tropiques,” ou encore “La Grande Marche.” Opposant farouche à l'esclavage, Gottschalk renonce à son allégeance à la Louisiane au profit de la cause nordiste avant de quitter la Havane pour les États-Unis en 1862. Pendant la Guerre Civile, le rythme de ses tournées devient frénétique: Gottschalk donne plus d'un millier de concerts entre 1862 et 1865. Lors d'un séjour en Californie, on l'accuse de manquer de respect à l'endroit d'une de ses élèves : ce scandale l'incite à regagner l'Amérique latine en 1865, et jamais il ne refoulera son sol natal. L'existence de Gottschalk est ponctuée par d'infatigables voyages, par le succès remarquable de ses concerts et par ses fréquentations de choix dans les sphères les plus élevées de la société. Il ne joue en règle générale que ses propres œuvres et assemble des orchestres démesurés en engageant des musiciens locaux. Compositeur infatigable, ses œuvres publiées se vendent avec succès. Sous l'influence de Luis Fors, Gottschalk se lance dans la réforme sociale, prêchant à Buenos Aires ou à Montevideo les avantages du système éducatif public américain. À Rio, au printemps 1869, Gottschalk est affaibli par une maladie (peut-être la fièvre jaune) qu'il aurait portée en lui toute sa vie et se trouve obligé d'interrompre la frénésie de ses multiples représentations pour prendre un peu de repos. Lors d'un concert, en novembre de la même année, il s'effondre sur son piano. Son médecin diagnostique une maladie des intestins et lui prescrit de se retirer sur les hauteurs de Rio, à l'abris de la chaleur. Le pianiste compositeur louisianais s'éteint le 18 décembre, à l'âge de quarante ans. Rio lui offre des funérailles majestueuses et New York réclame son corps l'année suivante : il est alors enterré au Greenwood Cemetery à Brooklyn. début

Case 16
Basile Barès (1845-1902)

Le succès international de Gottschalk illustre l'extrême vitalité de la scène musicale de la Nouvelle-Orléans au XIXème siècle. Plusieurs compositeurs de couleur nés en Louisiane poursuivent des carrières brillantes en Amérique et en Europe : Edmond Dédé, probablement le plus connu de ces musiciens, fait ses études au Conservatoire de Paris et devient chef d'orchestre à Bordeaux, tout en poursuivant ses travaux de composition. Basile Barès, homme de couleur né en 1845, devient à son tour un compositeur aussi prolifique que populaire à la Nouvelle-Orléans. Bien qu'on dispose de très peu d'informations biographiques le concernant, il est probable que Barès soit né esclave et qu'il ait appartenu à un marchand de pianos de la Nouvelle-Orléans. Sa composition de 1860 intitulée "Grande Polka des Chasseurs à Pied de la Louisiane" fut publiée avant son affranchissement. Barès apprend la musique auprès d'Eugène Prévost, auteur compositeur de la Nouvelle-Orléans qui fut également le professeur d'Edmond Dédé. Barès fait plusieurs voyages en Europe, mais contrairement à Dédé, il choisit de poursuivre sa carrière musicale en Louisiane. Il lui arrive souvent de se produire en compagnie de deux autres Créoles de couleur : Victor-Eugène Macarty et Samuel Snaër. Le morceau qui a pour titre "La Belle Créole" est dédié à son ami et collègue Macarty. Les musiciens jouent dans toutes sortes de formations, tantôt pour des organisations caritatives au profit des Créoles de couleur, tantôt lors de concerts en marge des saisons musicales de la ville. La popularité de Barès s'étend au-delà des secteurs créoles de la Nouvelle Oréans. Il publie plus de vingt compositions pour piano dont les titres sont indifféremment en anglais et en français, et dirige une formation d'instruments à cordes alors très célèbre pour ses concerts à l'occasion des bals du carnaval . Comme les titres de ses publications en témoignent. Barès a souvent recours dans sa propre musique à l'iconographie caractéristique de la Nouvelle-Orléans créole rendue populaire par Gottschalk. Cependant, contrairement à l'œuvre de ce dernier, la "Musique créole pour piano" de Barès ne fait pas explicitement référence aux influences africaines qui sous-tendent la musique créole. En effet, tandis que Gottschalk incorpore dans sa musique les images exotiques de la Nouvelle-Orléans noire, Barès privilégie dans ses propres œuvres les images romanesques du monde créole blanc. début

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Case 9 Alfred Mercier, (1816-1894)
Case 10 Adrien Rouquette, (1813-1887)
Case 11 Louis Placide Canonge (1822-1893)
Armand Lanusse et Les Cenelles
Case 12 Armand Lanusse (1812-1867)
Sidonie de la Houssaye et Léona Queyrouze
Case 13 Léona Queyrouze, (1861-1938)
Case 14 Sidonie de la Houssaye (1820-1894)
Louis Moreau Gottschalk et Basile Barès
Case 15 Louis Moreau Gottschalk (1829-1869)

Case 16 Basile Barès (1845-1902)