Case 1 Dans la Nouvelle-Orléans de la fin du XIXème siècle, la langue française apparaît comme un vestige du passé de la ville. Les résidents francophones assistent en effet au déclin de leur langue et de leur culture à mesure que la Nouvelle-Orléans devient une ville américaine où l'anglais est la langue dominante. En 1886, F.P. Poché, juge à la Nouvelle-Orléans, donne un discours à l'occasion du "Jour des Créoles" lors de l'"Exposition américaine". Ce texte décrit les nombreux succès de la population "créole" de la ville tout en évoquant les différentes étapes de l'histoire de la Nouvelle-Orléans. Le discours de Poché, donné en anglais et traduit ultérieurement en français, identifie les Créoles aux descendants blancs des premiers colonisateurs français et espagnols de la Louisiane, qui ont selon lui apporté à la Louisiane les lumières de la civilisation. Ses hypothèses concernant l'identité des Créoles se situent au cur de l'usage persistant qui est fait de la figure emblématique de la belle Créole. Tantôt le nom d'une usine de tabac ou d'un bateau à vapeur , tantôt le titre d'une polka , la figure de la belle Créole s'offre comme la représentation à la fois romancée et exclusive de la Nouvelle-Orléans francophone. La récurrence de cette image confirme ce que l'historien Joseph Tregle appelle la "mythologie créole", à savoir une identité de groupe rigide qui repose sur des succès culturels et politiques appartenant au passé. La présente exposition s'attache à montrer comment, à travers la musique et la littérature composées à la Nouvelle-Orléans au cours du XIXème siècle, les diverses voix francophones s'efforcent de représenter leur rôle et leur identité dans l'histoire de la ville. Le mythe de "la belle Créole" ne constitue cependant qu'une des nombreuses facettes paradoxales qui, à travers la musique et la littérature francophones, participent à la création, à la défense et à la contestation des groupes identitaires qui cohabitent à la Nouvelle-Orléans. début |
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Les racines de la Nouvelle-Orléans francophone s'étendent jusqu'en Europe, en Afrique de l'Ouest et dans les Caraïbes. La succession des gouvernements coloniaux français et espagnols, ainsi que l'arrivée en Louisiane de colons issus du Canada et des Caraïbes sont à l'origine d'une culture coloniale complexe et souvent conflictuelle. S'y mêlent également l'afflux des soldats et colons européens, les tribus indigènes et les esclaves originaires d'Afrique de l'Ouest. Tandis que la vente de la Louisiane par Napoléon 1er aux Américains en 1803 et l'arrivée de W.C.C. Claiborne , premier gouverneur américain de Louisiane, sont les signes précurseurs de la croissante américanisation de la ville, l'afflux de nombreux groupes d'immigrants francophones contribue au renforcement de la Nouvelle-Orléans créole. Dans la décennie qui suit la vente de la Louisiane, plus de 10 000 réfugiés fuient la révolution haïtienne pour s'installer à la Nouvelle-Orléans. Ces réfugiés découvrent en Louisiane un ordre racial constitué de trois castes Blancs, gens de couleur libres et esclaves noir qui rappelle l'ordre social de Saint-Domingue avant la révolution. Les liens linguistiques et culturels qui unissent la France à la Louisiane attirent également des immigrants français. Tout au long du XIXème siècle, de nombreux réfugiés politiques français choisissent en effet la Louisiane comme nouvelle terre d'accueil afin d'échapper aux bouleversements politiques successifs que connaît alors la France, notamment les années tumultueuses de la Révolution française et les conséquences de l'ascension et de la chute de Napoléon 1er, ansi que la Révolution de 1848. Ces nouveaux "Français de France", participent à la consolidation de la culture francophone de la Nouvelle-Orléans et ne tardent pas à assumer des fonctions de premier plan dans les institutions politiques et culturelles créoles. début |
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La Nouvelle-Orléans créole s'enorgueillit de ses institutions littéraires, théâtrales et musicales. La ville abrite plusieurs journaux de langue française. Les salles de bal prospèrent, témoignant de la popularité de toutes les formes de danse. L'édition de livres et partitions francophones permet la distribution des productions culturelles locales à un public étendu. Les théâtres et opéras francophones où sont représentées des uvres en français sont florissants. Auguste Lussan, dramaturge et poète conduit à la Nouvelle-Orléans dans les années 1830 par son métier d'acteur, est l'auteur de La famille créole. Cette pièce est représentée pour la première fois le 28 février 1837 sur la scène du théâtre français de la Nouvelle-Orléans, avant d'être publiée la même année par l'une des maisons d'édition francophones de la ville. Ce drame en cinq actes, qui voit les allers-retours entre la Louisiane et la France se multiplier, raconte l'histoire d'une famille d'esclavagistes issue de la Révolution de Saint-Domingue, qui trouve en Louisiane un havre de paix loin du tumulte des Caraïbes et des menaces de la Révolution française. La coexistence de ces différentes institutions francophones à la Nouvelle-Orléans donne l'impression d'une population créole cohérente, une famille créole, unie par une langue et une culture communes. Mais une analyse plus approfondie des uvres littéraires et musicales francophones révèle la précarité et les conflits qui caractérisent la culture "créole" de la Nouvelle-Orléans. début |
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Case 4 Deux événements, d'une part le transfert
de la Louisiane de la France à l'Espagne en 1764 et d'autre part
la bataille de la Nouvelle-Orléans en 1815, revêtent une
importance particulière dans l'imaginaire historique de la Nouvelle-Orléans
créole. Deux pièces de théâtre écrites
et produites à la Nouvelle-Orléans: Les Martyrs de
la Louisiane (1839) par Auguste Lussan et France et Espagne,
ou La Louisiane en 1768 et 1769 (1850) par Louis Placide Canonge,
s'inspirent des événements de la révolte de 1768,
où après s'être opposés au gouvernement espagnol,
des colons français virent leurs hommes de tête se faire
exécuter sous les ordres du gouverneur espagnol O'Reilly. Composées
à une époque où le pouvoir économique et
social de la Nouvelle-Orléans anglophone commence à éclipser
celui des sections francophones de la ville, ces deux pièces
mettent en scène des Créoles patriotiques luttant contre
la tyrannie de la culture de l'envahisseur. Du premier acte de France
et Espagne s'élève cette revendication patriotique,
à travers les mots de marquis, officier français: Les protagonistes des deux pièces refusent de s'assujettir à la domination espagnole et leurs dirigeants sont à leurs yeux des martyrs sacrifiés à la cause de la Louisiane créole. Mil Huit Cent Quatorze, recueil de poèmes écrits par Tullius Saint-Céran en 1839 au sujet de la bataille de la Nouvelle-Orléans, et Réflexions sur la Campagne du Général André Jackson, mémoires publiées en 1848 par Bernard Marigny, vétéran de la bataille, témoignent de l'importance de la victoire d'Andrew Jackson dans l'imaginaire créole. Les Créoles insistent sur leur contribution à la victoire des Américains sur les Anglais à Chalmette tout en mettant en relief les différences qui les démarquent de leurs frères d'armes anglophones. Dans ses mémoires, Marigny évoque également un incident qui se produisit au cours d'un bal, peu après la vente de la Louisiane. Tandis quun groupe dAméricains engage lorchestre à jouer des gigues plutôt que les valses et cotillons particulièrement appréciés des créoles, une dame, Créole de haute extraction, soutient quau cours des trente ans de domination espagnole, les résidents créoles de la Nouvelle-Orléans ne furent jamais obligés de danser le fandango; elle espère le même respect de la part des nouveaux venus américains. La représentation de ces deux événements historiques, qui peuvent être considérés comme des mythes fondateurs de l'imaginaire créole, révèle les inclinations conflictuelles qui incitent les Créoles à célébrer leur participation à la cause américaine et à revendiquer, dans le même mouvement, leur identité culturelle propre. début |
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Au moment où les Créoles de la Nouvelle-Orléans se montrent particulièrement fertiles dans la composition de musiques et de littératures qui les mettent en scène, plusieurs écrivains anglophones manifestent également leur intérêt pour l'histoire et la culture de la Nouvelle-Orléans créole. À la veille de la Guerre Civile, le dramaturge abolitionniste Dion Boucicault écrit The Octoroon (L'octavonne), où il dresse un tableau accablant de l'esclavage en Louisiane qui vise à infléchir l'opinion publique en faveur de l'abolitionnisme. Après la guerre, des écrivains tels que Kate Chopin et Lafcadio Hearn composent à leur tour en langue anglaise des fictions et essais au sujet de la Louisiane. Mais ce sont les écrits prolifiques de George Washington Cable sur la Louisiane et la Nouvelle-Orléans qui attirent le plus l'attention, non seulement du lectorat américain qui savoure la couleur locale de ses histoires, mais aussi des lecteurs créoles qui s'offusquent de la représentation que Cable offre d'eux dans ses uvres. Cable est né à la Nouvelle-Orléans en 1847 mais, en tant que fervent protestant résidant dans les quartiers anglophones de la ville, il est perçu comme un étranger par les créoles francophones qui constituent néanmoins son sujet de prédilection. Une lettre manuscrite de Cable à un certain M. Savini met l'accent sur l'empressement de l'écrivain à recueillir pour ses uvres des informations hautes en couleur sur les Créoles. Dans Old Creole Days (Vieux jours créoles) et The Grandissimes, Cable dresse le portrait de personnages décadents dans une Nouvelle-Orléans romanesque et fait allusion à l'impureté raciale de la population créole blanche de la ville. Cette dernière insinuation suscite lindignation d'éminents résidents francophones de la Nouvelle-Orléans: le pamphlet d'Adrien Rouquette intitulé A Critical Dialogue Between Aboo and Caboo on a New Book, or A Grandissime Ascension (Dialogue critique entre Aboo et Caboo au sujet d'un nouveau livre, ou Une ascension grandissime) apparaît comme la critique la plus mordante de l'uvre de Cable. L'essai satirique de Rouquette, qui prétend rapporter le dialogue de deux fantômes sur les rives du Lac Ponchartrain, tourne en dérision la manière dont Cable cherche à imiter les différents accents de la Nouvelle-Orléans et dénonce le fait que les uvres de Cable "se présentent comme des romans mais sont considérées comme de l'histoire. début |
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À l'instar de George Washington Cable qui
présente dans son uvre une vision très romanesque
de la Nouvelle-Orléans créole, de nombreux écrivains
et musiciens francophones louisianais manifestent une tendance à
représenter la Louisiane en général et la Nouvelle-Orléans
en particulier comme des lieux extrêmement romantiques et exotiques.
Dans son essai intitulé The Creoles of History and the Creoles
of Romance (Créoles de lhistoire, Créoles de la
romance), composé en 1885 en réaction au portrait
que dresse G.W. Cable de la Nouvelle-Orléans créole, lhistorien
Charles Gayarré se fait lavocat de la pureté raciale
des Créoles, mise en question par Cable. Son Histoire de la
Louisiane, parue en 1885, savère tout aussi romantique
et exotique, que les écrits de Cable, notamment lorsque Gayarré
décrit les premiers temps de lexploration de la Louisiane
par les Européens: |
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Case
7 Les Gens de Couleur Libres Conformément à la plupart des sociétés esclavagistes du Nouveau Monde, on trouve à la Nouvelle-Orléans un système racial à trois niveaux, où les gens de couleur libres occupent une position intermédiaire entre les blancs et les esclaves noirs. Sa forte population de gens de couleur libres (qui s'élève à 20 000 en 1840) fait de la Nouvelle-Orléans un cas unique; cette particularité est l'objet de conflits constants entre les secteurs francophones et anglophones de la ville, au moment où ces derniers connaissent une croissance particulièrement rapide. Parmi les gens de couleur libres, nombreux sont ceux qui peuvent retracer leurs origines jusqu'aux débuts de la colonisation de la Louisiane; l'arrivée de réfugiés noirs libres, en provenance de la Révolution de Saint-Domingue, participe au renforcement et à la diversité de ce groupe. Les succès multiples des gens de couleur libres sont répertoriés par Rudolph Desdunes dans son livre publié en 1911: Nos hommes et notre histoire. Politiciens, soldats, poètes ou dramaturges, les gens de couleur libres n'ont de cesse de défendre leur fragile statut intermédiaire entre Blancs et Noirs. Armand Lanusse, Louis Charles Roudanez et Basile Barès ont joué un rôle important dans la littérature et la musique. Des gens de couleur libres exilés de la Nouvelle-Orléans entreprennant de brillantes carrières en France. Victor Séjour s'illustre dans la composition de vingt et une pièces de théâtre qui pour la plupart, comme cest le cas de Richard III, sont représentées à Paris. Edmond Dédé apprend dabord la musique à la Nouvelle-Orléans, mais quitte bientôt la Louisiane pour poursuivre ses études au conservatoire de Paris et sa carrière de compositeur et de chef dorchestre à Bordeaux. Camille Thierry connaît un grand succès avec son recueil de poèmes intitulé Les Vagabondes, Poésies américaines (1874). Le livre de Desdunes célèbre en définitive les accomplissements des générations qui l'ont précédé au moment où sa propre génération prend la tête de la lutte contre Jim Crow, emblème de la ségrégation dans le sud des États-Unis. début |
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Case 8 Pendant la Guerre Civile, l'élite créole francophone de la Nouvelle-Orléans joue un rôle crucial dans les efforts menés pour obtenir le soutien de la France dans la défense de la Confédération. L'essai de Charles Gayarré, La race latine en Louisiane, et celui d'Alfred Mercier, Du panlatinisme: nécessité d'une alliance entre la France et la Confédération du Sud, déclarent tous deux que la France a tout intérêt à défendre le Sud et "sa race latine" contre les agressions du Nord anglo-saxon. Ces arguments raciaux définissent et défendent la pureté des Créoles blancs tout en traçant une démarcation stricte entre Blancs et Noirs dans la Nouvelle-Orléans francophone. Pendant la Reconstruction, aux lendemains de la Guerre Civile, nombre de gens de couleur libres en viennent à jouer des rôles de premier plan dans le gouvernement de la Louisiane, ce qui aboutit à une hostilité non dissimulée entre les secteurs noirs et les secteurs blancs de la ville, et suscite la rhétorique raciste qui est à l'uvre dans "Elle fut nommée la ville du croissant", une caricature contemporaine. Louis Placide Canonge, journaliste et metteur en scène, traduit le tract de H.R. Helper, Nojoque: Une grave question pour un continent , qui revendique la suprématie de la race blanche sur les autres races. Dans sa traduction, Canonge reste fidèle à la haine que voue Helper aux Afro-Américains mais omet les attaques de ce dernier contre le catholicisme et le pape afin de ménager la sensibilité de son lectorat. Après la Guerre Civile, de nombreux résidents francophones de la Nouvelle-Orléans éprouvent le besoin d'insister sur la pureté raciale de leurs ancêtres. Parmi eux, l'illustre historien Charles Gayarré, poussé par ses idées conservatrices à frayer, avant la guerre, avec le parti des Know-Nothing, particulièrement rétif à toute forme d'immigration, déclare que le terme créole ne sapplique quaux descendants blancs des colons louisianais venus dEurope. début |
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